Vincent Montagne, Président du Syndicat national de l’édition, Philippe Robinet, Président de la SCELF, et Denis Mollat, Président du Cercle de la Librairie, ont présenté leurs vœux pour l’année 2024 à l’ensemble des acteurs du secteur du livre et de l’édition, venus nombreux au siège du SNE mardi 16 janvier.

Cette cérémonie été l’occasion de revenir sur le bilan de l’année 2023 et d’évoquer les grands enjeux de l’année à venir pour l’interprofession du livre et de l’édition.

« Mesdames, Messieurs, chers amis,

Je suis très heureux de vous retrouver ici, à l’occasion de la traditionnelle cérémonie des vœux et de voir tant de visages amis et connus ainsi rassemblés ! Cette année, nous avons exceptionnellement reporté la date habituelle de nos vœux, avertis en songe d’importants changements… Un nouveau gouvernement, une nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, à qui je souhaite la bienvenue et qui, je l’espère, sera à nos côtés pour affronter les défis qui nous attendent. Je vais y revenir.

L’année 2023 s’est close par une stabilisation de notre paysage éditorial, au terme de longs mois d’incertitude.

Je saisis l’occasion pour souhaiter à Stéphanie Ferran, directrice générale déléguée du groupe Hachette Livre, Denis Olivennes, PDG du groupe Editis et Catherine Lucet, directrice générale, la bienvenue au sein du bureau du SNE… Bienvenue voulant aussi dire qu’ils sont plongés dans le grand bain des défis qui nous attendent ! Le premier d’entre eux est bien évidemment l’émergence de l’IA générative.

À cet égard je veux saluer la détermination de l’Union européenne qui a décidé de réguler les grands modèles d’IA Générative dans le cadre de l’AI Act, le règlement européen sur l’intelligence artificielle. Cette rapidité d’intervention est assez inhabituelle. Elle reflète une prise de conscience collective et consacre L’Europe comme un espace promouvant à la fois l’innovation technologique et le respect des grands principes de droits.

Très tôt, les acteurs du monde de la culture se sont mobilisés. En septembre dernier, 73 organisations représentatives des industries culturelles et créatives (ICC) ont alerté Matignon, sur la nécessité de soumettre les modèles d’IA générative aux exigences de transparence et de respect de la propriété intellectuelle.

Ces mêmes organisations vont solliciter le nouveau gouvernement afin de veiller à ce que le compromis trouvé à Bruxelles ne soit pas dénaturé et affaibli, et pour rappeler que « toute hypothèse qui viendrait, au cours des réunions techniques à venir, fragiliser la portée de ces principes et la protection du droit d’auteur serait inacceptable ». J’ajoute que, dans ce temps de campagne électorale européenne qui s’ouvre, nous sommes invités à solliciter les listes candidates sur le sujet.

Certains pays, dont la France, ont manifesté leur volonté d’exclure l’IA générative du champ de la régulation, au prétexte qu’il faudrait innover avant de réguler. Méfions-nous ! Quand un petit nombre d’acteurs tente d’assujettir l’idée d’innovation à leurs intérêts particuliers, cela se fait généralement au détriment de l’intérêt du plus grand nombre. Il n’y a pas de progrès sans justice associée.

Aucun représentant de nos Industries ne s’oppose à l’innovation. Tous défendent l’idée qu’on ne doit pas laisser les acteurs de l’intelligence artificielle, piller sans vergogne la propriété intellectuelle pour générer des contenus.

Tous les représentants de la culture se sont associés dans cette revendication. Dans ce combat, auteurs, éditeurs et tous les acteurs du Livre sont unis. Par ailleurs, tout au long de l’année écoulée, le dialogue entre auteurs et éditeurs s’est poursuivi sur de multiples sujets techniques, dans un climat d’ouverture et de construction, selon une méthode mise en œuvre par le Service du Livre et de la lecture. Merci à Nicolas George et à Rémi Gimazane pour leur patience ! Je veux saluer le travail remarquable et constructif de la DGMIC, merci à Florence Philbert,  et du Cabinet de la ministre Rima Abdul Malak. Merci notamment à Anne Gérard pour son accompagnement constant.

Il y a encore du grain à moudre en 2024 et nous souhaitons poursuivre dans cet esprit avec la nouvelle Ministre de la culture. Preuve d’une volonté d’apaisement, les éditeurs ont fait part de leur intention de publier prochainement un guide des bonnes pratiques en matière de contrat d’édition, bannissant toute pratique contestable.

Aujourd’hui, surtout lorsque l’économie se tend avec une inflation persistante, nous devons poursuivre nos efforts dans le sens d’une meilleure compréhension mutuelle des enjeux économiques de notre secteur. Le SNE publiera dans les prochaines semaines une étude sur le partage de la valeur, menée avec KMPG et portant sur un chiffre d’affaires très significatif du secteur. Et je tiens à rappeler une évidence : auteurs et éditeurs ne peuvent partager qu’une valeur positive, celle qu’ils auront su créer et protéger ensemble.

Autre sujet dont je suis heureux de parler : la transparence des ventes de livres. Elle reste un enjeu essentiel pour asseoir la confiance entre auteurs et éditeurs.  Le chantier a connu au cours des derniers mois une avancée décisive grâce au travail mené en commun par tous les acteurs de la chaîne du livre. Baptisé Fileas pour « Fils d’information libraires-éditeurs-auteurs », une version pilote de cet outil de « Booktracking » devrait voir le jour à l’automne 2024, rapidement suivie au printemps de sa version finalisée. Et je remercie Régine Hatchondo et le Centre national du livre pour leur soutien à ce projet. A voir les obstacles déjà surmontés, c’est un défi comparable à celui de Phileas Fogg dans le Tour du monde en 80 jours.

La connaissance des ventes quotidiennes de livres permettra également aux éditeurs de tirer au plus juste afin de prévenir à la fois les ruptures et les sur-tirages avec un double enjeu économique et environnemental.

Accompagner la transition écologique, c’est l’autre défi de notre secteur L’édition doit s’inscrire dans la trajectoire des accords de Paris. Le SNE travaille un ambitieux plan d’actions visant à réduire l’empreinte carbone et environnementale de la filière.

J’évoquerais un dernier sujet d’intérêt commun pour l’ensemble de la chaîne du livre, celui du livre d’occasion. Grâce à l’étude dévoilée au dernier Festival du livre, nous savons maintenant qu’un livre sur cinq vendus en France est un ouvrage de seconde main dont l’exploitation profite grandement à des plateformes de vente en ligne, mais aucunement aux auteurs et éditeurs qui ont permis à ces ouvrages d’exister. Nous attendons avec impatience la publication de cette étude qui doit nourrir une réflexion sur les moyens de concilier la pratique du livre d’occasion et les grands équilibres de la création éditoriale.

Alors que l’année 2024 s’annonce pleine d’incertitudes, réjouissons-nous du fait que le marché de l’édition a fait preuve de résilience en 2023. Malgré une baisse en volume, notre secteur a connu une légère croissance en valeur (+1%), pour un marché qui avoisine les 4,3 milliards d’euros. Grâce au dialogue engagé au sein de l’interprofession sous l’égide du Médiateur du livre, dont je salue la présence parmi nous ce soir, (Jean-Philippe Mochon), nous avons pu définir les bonnes pratiques pour gérer au mieux des augmentations de prix vitales pour l’ensemble de la filière.

Cette année encore, le livre a été un cadeau particulièrement recherché pour Noël et les fêtes de fin d’année. Avec quelques records :

Le nouvel Astérix, « l’Iris blanc » a dépassé 1,6 million d’exemplaires, (Gaston Lagaffe, 500 000 exemplaires en cinq semaines)  « Veiller sur elle », le roman de Jean-Baptiste Andréa récompensé par le Goncourt a séduit plus de 450 000 lecteurs. Enfin, Mélissa Da Costa, s’est hissée en tête de vente de livres 2023 avec plus d’un million d’exemplaires de ses différents ouvrages.

Evidemment, le dynamisme du marché de l’édition ne se résume pas aux succès de quelques ouvrages, même si leur notoriété attire les lecteurs dans les librairies et dans tous les points de vente de livres.

Mais ce dynamisme, c’est d’abord notre enthousiasme d’éditeur, d’auteur et il est structurel. Le livre n’est pas seulement une marchandise ! Il n’est pas non plus seulement un objet culturel ! Il est un élément structurant pour l’éducation de nos enfants et la cohésion de notre société. Pourvu que le choc provoqué par la publication des résultats de l’étude Pisa nous conduise à un peu d’humilité et se révèle bénéfique. Il a déjà conduit Gabriel Attal, dans ses précédentes fonctions de ministre de l’Éducation nationale, à acter une refonte de l’apprentissage du français et des mathématiques. Le secteur de l’édition via sa branche scolaire se mobilise pour prendre toute sa part dans cet effort initié par le ministère. Cet été, la ministre suédoise de l’éducation, cela ne vous aura pas échappé, a décidé de revenir aux manuels scolaires après avoir constaté une « crise de la lecture » chez les écoliers qui travaillaient sur des tablettes.

La promotion de la lecture est au cœur de notre mission. Depuis 12 ans, le SNE est mobilisé avec l’initiative « Les Petits champions de la lecture » présidée par Antoine Gallimard et qui touche plus de 120 000 enfants de CM1 et CM2 dans toutes les régions.

Si cette initiative était la bienvenue il y a 12 ans, elle est devenue indispensable aujourd’hui alors que les enfants de 8 à 12 ans passent près de 4 heures et demie par jour les yeux rivés à des écrans. La prise en main d’un livre, la découverte et le plaisir de la lecture sont devenus salutaires comme le rappelle le docteur en neuroscience Michel Desmurget. Ses livres en forme de cri d’alarme « La fabrique du crétin digital », et « Faites-les lire ! » rappellent combien le livre est un enjeu qui dépasse largement le seul secteur de l’édition.  C’est l’instrument de la formation cognitive et intellectuelle des nouvelles générations. Celles qui formeront la société de demain ne peuvent être abandonnées à la dictature des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle.

Lever les yeux des écrans pour les plonger dans les livres est un engagement qui nous oblige.

« Le livre nous porte d’un mot à un autre, imagine des ailleurs qu’il transfigure en ici. Mais la phrase s’achève, et sans quitter l’ici, on est de nouveau ailleurs » écrit Hélène Dorion dans son ouvrage « Jour de Sable ». La poétesse québécoise marquera l’année 2024 à double titre. Elle sera la première écrivaine vivante à figurer au programme du Bac de français 2024 et fera partie de la délégation d’auteurs québécois reçu par le Festival du Livre de Paris en avril prochain. J’en profite pour saluer Jean-Baptiste Passé qui dirigera cette année sa dernière édition du Festival du Livre. Il a su relever le défi qui lui a été confié de créer ce festival et d’en assurer son déploiement, notamment auprès des jeunes publics.

Inviter le Québec à cette nouvelle édition du Festival du Livre renforcera encore plus les liens d’affection que nos deux peuples entretiennent depuis longtemps. L’attribution du Prix Médicis et Décembre à Kevin Lambert pour « Que notre joie demeure » en est un nouveau signe.

Je veux remercier l’équipe permanente du Syndicat, menée remarquablement par Renaud Lefebvre, tous les représentants de nos maisons dans les Groupes et Commissions qui se dépensent bénévolement, sans compter et saluer aussi l’action exceptionnelle du BIEF, de son président Antoine Gallimard et de son directeur Nicolas Roche qui, dans ce contexte d’internationalisation de nos métiers, œuvrent pour le rayonnement de l’édition française.

Je terminerai avec les mots que nous livre l’Académicien Dany Laferrière «  Le livre est plus complexe qu’un ordinateur et aussi simple à ouvrir qu’un ciel d’été ».

Au nom du Bureau, je vous souhaite une excellente année 2024 ! »