- Mot du Président
Discours de Vincent Montagne du 13 juin 2017 aux Journées du livre de Berlin
Vincent Montagne est intervenu, le 13 juin 2017, à l’occasion de l’Assemblée générale du Börsenverein et des journées du livre de Berlin, placées cette année sous le signe de l’échange franco-allemand.
Découvrez l’intégralité du discours qu’il a prononcé :
« C’est un grand plaisir pour moi d’être à vos côtés aujourd’hui et d’intervenir à l’occasion de l’Assemblée générale du Börsenverein et des journées du livre de Berlin, placées cette année sous le signe de l’échange franco-allemand.
Les littératures françaises et allemandes, nous le savons bien, ont des histoires communes qui s’entrelacent depuis des siècles, entre admiration et inspiration. Madame de Staël fascinée par l’Allemagne l’appelait « la patrie de la pensée ». Michel Tournier la considérait comme « une partie de lui-même ». Apollinaire, quant à lui a puisé son inspiration chez Brentano pour composer ses Rhénanes.
Aujourd’hui la coopération dans le domaine du livre et de la lecture entre nos deux pays est une intense réalité : réalité éditoriale aussi bien que réalité politique.
Sur le plan éditorial, notre coopération concerne tous les secteurs de l’édition : la Bande-Dessinée, qui me tient particulièrement à cœur vous vous en doutez, est particulièrement dynamique et représente à elle seule plus de 46% des cessions de droits du français vers l’allemand – un chiffre en hausse depuis l’année dernière. Elle concerne aussi l’éducation, les sciences, les essais… Et au-delà de l’édition de livres, notre coopération est également une passerelle vers d’autres industries culturelles. Le cinéma notamment, comme en témoignent les récentes et nombreuses adaptations en croissance tant en Allemagne qu’en France.
La coopération entre nos deux industries s’inscrit également dans une action politique. La France et l’Allemagne s’attachent à défendre des valeurs communes inhérentes au livre, pilier de notre éducation, facteur d’intégration et socle de toute vie sociale. A cet égard, nous avons un réseau de libraires qui irriguent partout nos territoires au service de la transmission de la culture.
Au-delà des mots, la promotion de ces valeurs communes se traduit par des actions concrètes. Permettez-moi de prendre le temps d’en citer quatre, particulièrement importantes, qui dessinent les contours d’un axe franco-allemand actif.
La préservation du droit d’auteur en tout premier lieu. Alors que la directive 2001 sur le droit d’auteur est débattue en ce moment-même au Parlement européen et au Conseil, la nécessité de maintenir un cadre juridique et économique clair respectant les droits de chacun est la priorité de notre action. En effet le projet de réforme en cours, même s’il est plus modéré que la version initiale, tend à affaiblir le droit d’auteur et à bouleverser les équilibres économiques et juridiques du secteur. Au risque de remettre en question la diversité éditoriale et linguistique, ferments de la liberté d’expression et de création et de la richesse de la pensée européenne.
Notre défi commun, à nous, acteurs de la chaîne du livre européens aux côtés de tous les producteurs de contenus et ceux qui investissent dans la création, consiste donc aujourd’hui à faire entendre notre voix face aux tentatives de prédation et de détournement de la valeur de la création de la part des grands acteurs internationaux. Et face à celles et ceux qui sont tentés de céder aux sirènes de la démagogie de la gratuité. L’enjeu est important : il s’agit en effet de garantir la diversité et la qualité du marché du livre numérique européen. A côté des actions que nous menons en faveur du livre, celles du mouvement Europe Créative, qui regroupe toutes les industries culturelles et créatives est à ce titre précieuse et mérite d’être développée.
Second défi, le maintien du prix unique du livre qui ne constitue pas un acquis immuable. Il est pourtant le seul garant de la juste rémunération des auteurs, des libraires, des éditeurs. Le seul garant de l’égalité entre tous les lecteurs. Le seul garant de la viabilité de notre réseau exceptionnel de libraires. Le seul garant enfin de la diversité de la production éditoriale. Ensemble, éditeurs, auteurs, libraires, nous devons rester vigilants et intransigeants sur ce sujet.
Troisième axe, bien sûr, celui de la promotion du livre et de la lecture. La France et l’Allemagne y travaillent main dans la main à travers des temps forts comme le Comic festival à Munich ou le partenariat de l’Institut français à l’Internationales Literaturfestival. Nous y travaillons également à travers des initiatives telles que les Petits Champions de la Lecture, inspirées d’une expérience née à Leipzig, et qui connaît en France un dynamisme croissant. Parce que le trésor de la lecture accompagne un enfant sa vie entière, partout dans le monde, je formule le souhait que demain, les petits champions de la lecture dépassent nos frontières française et allemande et deviennent une opération internationale.
Et bien sûr, point d’orgue de cet enjeu, en octobre 2017, la France sera l’invitée d’honneur de la Foire de Francfort. Cette invitation, à laquelle nous sommes fiers et heureux que la France ait répondu, peut et doit conforter le dynamisme de nos échanges : la part des contrats cédés à des éditeurs allemands est en baisse en 2016 par rapport à 2015. Nous avons là une opportunité exceptionnelle de recréer la complicité littéraire historique entre nos deux pays. Et pour qu’elle s’inscrive dans le temps, permettez-moi de confirmer notre invitation à nos amis allemands : celle d’être le pays invité d’honneur du Salon Livre Paris en 2019…
Enfin, quatrième axe, parce que la lecture est le fer de lance de la liberté de pensée, notre action ne peut se détourner de la défense de la liberté d’expression et de publication. Les drames qui ont endeuillé Paris, Berlin, Londres et Téhéran, la fermeture de maisons d’éditions en Turquie, en Chine, la reprise du procès d’Asli Erdogan en Turquie nous rappellent combien ce combat est nécessaire.
À l’heure où certains pays du monde sont tentés par le repli identitaire ou l’isolement, l’Europe, parce qu’elle est le terreau de cette culture humaniste profonde, peut créer une dynamique inverse d’ouverture : l’élection du Président Emmanuel Macron, associé à la volonté de la chancelière allemande Angela Merkel, nous permettent de nourrir cet espoir. Et dans ce contexte, le livre et la culture y ont toute leur place. La vraie victoire de l’Europe, c’est celle de la culture.
Je vous remercie. »