- Mot du Président
Vincent Montagne présente ses vœux pour 2023
Vincent Montagne, Président du Syndicat national de l’édition, a présenté ses vœux à l’interprofession du livre le jeudi 5 janvier 2023.
« Mesdames, Messieurs, chers amis,
C’est une grande joie de pouvoir enfin vous accueillir physiquement dans nos locaux afin de vous souhaiter chaleureusement tous nos meilleurs vœux pour l’année qui s’ouvre.
Nos métiers de création s’accommodent mal de la privation de rencontres, d’échanges sensibles d’où jaillissent des réalités éditoriales qui rejoignent les lecteurs d’aujourd’hui et de demain !
Pour notre secteur, l’année 2022 a été celle de la résilience.
Après deux années si particulières et difficiles à gérer, le secteur de l’édition a fait preuve d’une grande résilience en 2022. Les combats successifs de soutien à la chaine du livre en 2020 puis de l’inscription des librairies dans la liste des commerces essentiels en 2021 ont porté leur fruit. Nous ne devons pas oublier le soutien sans faille du Président de la République et du gouvernement qui a déclaré la lecture grande cause nationale jusqu’en 2022.
Nous devons être fiers de pouvoir dire que dans cette période chaotique, la chaîne du livre, en lien constant avec le CNL et le service du Livre et de la lecture, ont su agir avec une solidarité exemplaire.
Il ne faut pas occulter le rôle essentiel de nos concitoyens qui ont eu à cœur de retrouver ces espaces de culture et de liberté que sont les librairies. Les plus fidèles lecteurs ont renoué spontanément avec le plaisir de pousser la porte de leur commerce favori. Cela n’a clairement pas été le cas dans tous les secteurs culturels. Les libraires ont également su accueillir et fidéliser de nouveaux lecteurs, notamment les plus jeunes, grâce au Pass Culture. On a beaucoup parlé d’un effet Manga. Oui il existe, mais soulignons que la moitié des jeunes qui sont entrés dans une librairie pour acheter un Manga en sont ressortis avec un deuxième, voire un troisième livre. Cela veut dire que nous avons réussi à capter des lecteurs peu habitués à cet exercice, et en cela, le Pass Culture est un très grand succès. Très concrètement, le Pass culture a activé plus de 250 000 références différentes ! plus de 250 000 ISBN !
Il faut sans cesse se battre pour encourager la lecture ! Depuis plus de 10 ans, le SNE s’est engagé sur le terrain de la lecture des jeunes. Le succès du jeu-concours, les petits champions de la lecture, le prouve. Il a rassemblé cette année 120 000 enfants de CM1 et CM2 dans 14 régions, en progression de 20% par rapport à 2021 et j’ai le plaisir de vous annoncer que pour la rentrée 2023, ce concours sera étendu progressivement aux élèves des écoles françaises à l’étranger.
Accueillir, conseiller, faire découvrir le livre à tous les lecteurs, nouveaux et anciens, rappeler qu’il n’est pas un produit comme les autres, c’est toute la noblesse de nos métiers et de notre engagement collectif.
Depuis février 2022, nous sommes malheureusement confrontés au retour de la guerre sur le sol européen. Ce conflit entre deux grandes nations de culture, capables de tant de sensibilité littéraire, de passion et de puissance évocatrice de nobles sentiments, plonge tout citoyen et tout amoureux de la littérature dans l’effroi. En ces temps d’affrontement, il est bon de citer ce grand auteur natif de Kiev, Mikhail Boulgakov qui disait « Suis-moi lecteur ! Qui t’as dit que l’amour véritable, fidèle, éternel, cela n’existait pas ? Le menteur, qu’on lui coupe sa langue scélérate : Suis-moi, mon lecteur, et nul autre que moi, je te montrerai cet amour ! »
Cette actualité dramatique nous rappelle que la lecture, vecteur de la liberté d’expression est, plus que jamais, au cœur des enjeux de démocratie, de citoyenneté et de culture. Et il n’y a pas que ce conflit. Quelques exemples récents nous montrent la fragilité de cette valeur parfois bousculée. Nous devons rester vigilants. C’est un point cardinal de notre profession qui demande parfois du courage. Nous ne pouvons accepter que l’autorité publique, quelle que soit son niveau, décide arbitrairement de fermer une librairie pour des raisons d’opinion comme ce fut le cas à Nice avant Noël.
Ce conflit européen pèse lourdement sur l’économie mondial et n’a pas épargné l’édition. Succédant à une année 2021, que nous avons légitimement qualifiée d’exceptionnelle, l’année 2022 a été celle d’une belle résistance. Les chiffres que nous venons de communiquer reflètent deux réalités. L‘année 2022 peut apparaître comme décevante avec un recul des ventes d’environ 5%. La baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyens, les ont conduits à restreindre leurs achats dès la fin de l’été. Et le livre n’y a pas totalement échappé. Mais, objet de partage et de plaisir, le livre est resté le cadeau idéal des fêtes de Noël, précisément en raison de son caractère à la fois peu onéreux et universel.
Pour ma part, je crois qu’il nous faut souligner que le millésime 2022 reste supérieur d’environ 10% à la moyenne de 2018 et 2019, les deux dernières années avant la crise Covid. J’en conclus que le livre a bénéficié de ce temps libéré au profit de la lecture pour conquérir de nouveaux lecteurs après plusieurs années de lente décrue. Soyons déterminés à garder ces lecteurs que les circonstances nous ont accordées.
L’année, s’est terminée par la signature le 20 décembre dernier, en présence de la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, d’un accord important avec les représentants des organisations d’auteurs. Le SNE se félicite de ces avancées venant consolider l’équilibre de la relation contractuelle entre auteurs et éditeurs, sans remettre en cause le progrès essentiel précédent, celui d’une économie du secteur basée sur la répartition du succès. Je tiens à remercier tout particulièrement le professeur Pierre Sirinelli et Sarah Dormont qui ont mené à bien cette mission de médiation, dans un calendrier dense et contraint de plus de 20 mois.
Cet accord permettra le passage progressif d’une reddition des comptes annuels à une reddition des comptes semestriels, assortie du paiement des droits dus aux auteurs. Une mesure qui répond à une forte demande des auteurs et qui représente un engagement important des éditeurs. Merci encore à chacun d’entre vous d’en avoir accepté la contrainte. Cela nécessitera du temps et des moyens supplémentaires, que certains éditeurs qui ne bénéficient pas d’une structure idoine auront du mal à assumer. Nous les aiderons !
Dans un souci de transparence, mais aussi pour la solidité de notre économie, le SNE a décidé la création d’un booktracking, (littéralement « suivi du livre ») un outil qui devrait fluidifier, fiabiliser et suivre au plus près le suivi des ventes de nos livres. Ce n’est pas l’Arlésienne ! Ce projet et bel et bien lancé et tous les maillons de la chaîne du livre y seront associés. La transparence, nous la voulons et nous la ferons de façon interprofessionnelle avec l’appui des autorités compétentes.
L’accord signé le 20 décembre, comprend également d’autres points plutôt techniques que je ne crois pas utile de détailler ici.
J’espère sincèrement que cet accord marquera le début de nouvelles relations de confiance avec les auteurs. La ministre de la Culture a souhaité que le dialogue puisse, à l’avenir, prospérer entre nos organisations afin de progresser dans la définition commune de meilleures règles du contrat d’édition. Je profite de ces vœux pour affirmer la volonté du SNE de poursuivre ce dialogue que je souhaite serein et fructueux.
Afin de faire vivre ce dialogue sur des bases saines, le SNE a confié à un cabinet d’audit, tiers de confiance, une grande étude sur l’économie du livre. Cette dernière devrait être publiée, pour ses premiers résultats, en avril ou mai 2023. Elle permettra à chacun d’appréhender dans sa globalité la répartition de la valeur entre tous les acteurs de la filière : auteurs, éditeurs, distributeurs et libraires, et je l’espère mettra fin à certaines incompréhensions et favorisera l’écoute mutuelle. Chacun devra y contribuer.
Le livre s’inscrit dans une économie du succès. Ce succès est un édifice bâti sur le risque et la patience. Nous devons alimenter et faire perdurer ce modèle économique qui assure la pérennité de la chaîne du livre.
Depuis l’adoption fin 2021 par le Parlement de la loi Darcos « visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs », le ministre de l’Économie Bruno Le Maire et la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak ont travaillé aux côtés de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) à la définition d’un prix plancher pour les livraisons de livres en France.
C’est une décision importante qui devrait mettre fin à la distorsion de concurrence imposée par les grands acteurs du e-commerce. Elle réaffirme que le livre n’est pas, et ne sera jamais, un produit d’appel pour les plateformes numériques et que l’esprit de la loi sur le prix unique du livre reste le socle sur lequel repose toute notre filière.
Toutefois, il faut rester vigilant. La décision a été notifiée à Bruxelles et la réponse des autorités européennes tarde en raison notamment des pressions exercées par Amazon. Nous faisons confiance aux pouvoirs publics pour aboutir à une décision équilibrée qui respecte à la fois le prix unique du livre et les règles du droit de la concurrence.
Dans notre métier, quand un chantier se ferme, un autre au moins s’ouvre !
Cette année, nous devrons nous attaquer à la question des tarifs postaux qui restent très, trop élevés en France et pénalisent les services de presse, notamment des petits éditeurs indépendants. Je salue le président de la fédération des éditeurs indépendants, et l’assure du large soutien du SNE dans les négociations qui s’ouvriront avec la Poste sous l’égide de l’Arcep et des pouvoirs publics.
Cette année, le Parlement français devrait transposer la directive européenne instaurant l’accessibilité du livre aux personnes souffrant d’une déficience visuelle. C’est un sujet d’importance, et le SNE s’investit pleinement pour trouver un bon équilibre entre l’intérêt général et le coût de fabrication du livre. On nous dit parfois en retard sur cette exigence, mais c’est faux, et nous sommes même moteur sur ce dossier qui dépasse largement les simples contraintes techniques. C’est aussi un combat. Nous serons bien prêts en juin 2025 pour une application déterminée de cette directive.
Le secteur de l’édition reste très attentif au mouvement de concentration entre les deux plus grands éditeurs du pays. Fin novembre, la Commission Européenne a ouvert une enquête approfondie sur le sujet. A ce stade, il est difficile de se prononcer sur l’issue de cette opération. Il nous incombe de rester vigilant pour que les grands équilibres économiques du secteur, notamment l’accès équitable au marché de la distribution de livres soit préservé. On parle maintenant d’un dénouement fin mai de cette année. Continuons à fédérer l’ensemble des maisons d’édition adhérentes du SNE, en particulier celles qui pourraient être impactées par cette opération.
Depuis dix-huit mois, notre secteur n’échappe pas au phénomène inflationniste qui touche l’ensemble de l’économie. Ainsi, les éditeurs ont dû faire face à une envolée des prix du papier et de l’énergie. C’est un sujet de préoccupation majeur pour toute la filière et cela fragilise notre équilibre économique déjà précaire. L’augmentation des coûts a parfois dépassé les 80% et vous en connaissez l’impact sur vos livres !
Cette inflation a déjà conduit nombre d’éditeurs à augmenter les prix des livres, c’est nécessaire, mais cela pose aujourd’hui, un problème concret : celui du ré-étiquetage des livres par les libraires ou les distributeurs suivant les cas. Un véritable casse-tête et des dépenses supplémentaires. Le médiateur du livre est saisi de ce dossier afin de protéger l’ensemble des acteurs dans un contexte conjoncturel, certes, mais aussi structurel, car l’inflation devrait probablement se poursuivre. Il nous faudra trouver des remèdes adaptables dans le temps. Avec la Loi Lang, je vous le rappelle, c’est l’éditeur qui fixe le prix du livre. Nous devons garder présent à l’esprit que toute hausse permet aussi la croissance de la répartition entre les acteurs de la chaine : libraires, diffuseurs, distributeurs, auteurs et éditeurs.
Toutefois, en ce début d’année 2023, nous apercevons des signes encourageants de stabilisation des prix du papier.
Pour terminer sur une note plus positive, L’année 2022 a vu l’émergence d’un nouveau phénomène, celui de la prescription de livres par les réseaux sociaux. Les hashtags #Booktok, #Bookstagram #Booktuber sur TikTok, Instagram et YouTube ont suscité un véritable engouement des jeunes pour les livres.
Le SNE, à l’affut de toutes les opportunités de croissance du marché, s’est emparé du sujet. En novembre dernier, les « assises du livre numérique » se sont penchées sur ce phénomène afin d’en comprendre les ressorts et d’assimiler la grammaire particulière de ces nouveaux influenceurs.
Le #booktok a généré 2 milliards de vidéos vues, soit un doublement en un an !
Cela prouve que le livre reste un vecteur d’émotions très puissant pour toutes les générations et ce, quel que soit le canal de promotion.
J’ai d’ailleurs, le plaisir de vous annoncer que TikTok sera un partenaire significatif du prochain Festival du Livre de Paris, dont la deuxième édition se déroulera du 20 au 23 avril 2023 avec l’Italie en invité d’honneur. Soyez tous bienvenus ! Après deux années sans Salon, le festival a trouvé son équilibre économique dès sa première édition. Un exploit qui est à mettre au crédit de Jean-Baptiste Passé, de son équipe et des permanents du SNE.
En parlant du Syndicat, vous avez eu là un aperçu de l’avalanche des dossiers à suivre en permanence, et pardonnez-moi si ce fut un peu long ! C’est aussi une occasion de dire toute ma gratitude à Pierre Dutilleul pour le travail accompli. Nous lui dirons dans quelques mois plus officiellement car Pierre va prendre fin avril une retraite déjà amplement méritée, et il sera progressivement remplacé par Renaud Lefebvre que beaucoup d’entre vous connaissent déjà.
Laissons le dernier mot à Nikolai Gogol trait d’union entre les deux belligérants, « Rien n’égale la solitude quand l’homme peut jouir de la nature et lire de beaux livres ».
A titre personnel, et au nom des vice-présidents Liana Levi et Louis Delas et de l’ensemble du Bureau du SNE, de Pierre Dutilleul et avec lui de toute l’équipe du SNE, je vous présente mes vœux les plus chaleureux.
Je vous remercie. »