Transposition de la directive Droit d’auteur en droit français
Un éclairage juridique détaillé de la transposition de la directive Droit d'auteur en droit français et les conséquences pour les éditeurs.
Pour rappel, la transposition en droit français de la directive sur le droit d’auteur, adoptée en avril 2019, est réalisée par voie d’ordonnances. Une première ordonnance (ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021) a transposé les dispositions relatives à la responsabilité des plateformes (article 17) et celles traitant des auteurs (articles 18 à 23) [voir infra pour rappel]. L’ordonnance n° 2021-1518 du 24 novembre 2021 vient parachever cette transposition en venant consacrer ou adapter des exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins pour :
- l’utilisation d’extraits d’œuvres à des fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement (ou « exception pédagogique » : article 5),
- la fouille de textes et de données (ou « exception TDM » : articles 3 et 4)
- la reproduction des bases de données et des logiciels par les bibliothèques à des fins de conservation (article 6)
- la reproduction des œuvres dans un souci de conservation du patrimoine culture (article 8)
- la possibilité d’une gestion collective étendue (article 12).
S’agissant de l’exception pédagogique, les nouvelles dispositions modifient les termes de l’exception jusque-là prévue au e) de l’article L. 122-5 du CPI. Cette exception, désormais définie au 12° du même article et à l’article L. 122-5-4 du CPI, concerne l’usage d’extraits d’œuvres à des fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la formation professionnelle. Conformément aux dispositions de l’article 5 de la directive, il est prévu que cette exception couvre les utilisations, y compris transfrontières, d’extraits d’œuvres sous forme numérique, au moyen d’un environnement sécurisé accessible uniquement aux élèves et aux enseignants. L’exception couvre désormais tout type d’œuvres (y compris les œuvres conçues à des fins pédagogiques ou « OCFP » qui étaient jusqu’à présent exclues du périmètre de l’exception) et tout type de formation professionnelle (y compris la formation continue).
L’ordonnance reprend les points suivants, soutenus par le SNE tant lors des discussions au moment du vote de la directive qu’au moment de la transposition en droit interne :
- limitation de l’utilisation des œuvres à des extraits (comme cela était jusqu’à présent le cas)
- possibilité d’écarter la mise en œuvre de cette exception, en totalité ou pour certaines catégories d’œuvres seulement, dès lors que sont proposées des licences autorisant les actes visés par l’exception qui répondent aux besoins et spécificités des établissements d’enseignement et qui sont d’accès aisé pour ces derniers (nouveau mécanisme juridique dit de « prévalence des licences » soutenu dès l’origine par le SNE). Un décret à paraître doit notamment définir les conditions de visibilité de ces propositions
- Rémunération de l’exception.
- Dès lors que ces licences sont délivrées par un organisme de gestion collective agréé, possibilité d’étendre, par arrêté du ministre chargé de la culture, ses effets aux titulaires de droits qui n’en serait pas membres (nouveau mécanisme dit de « licence collective étendue »). Ce nouveau mécanisme permet à un organisme de gestion collective de négocier un accord non seulement au profit de ses membres mais aussi des auteurs non adhérents dès lors que cet organisme est représentatif des œuvres concernées avec la possibilité pour les auteurs non adhérents la faculté de se retirer du dispositif. Il permettrait d’organiser plus simplement la visibilité des licences adéquates en confiant à l’OGC agréé le soin d’autoriser les établissements d’enseignement à utiliser des œuvres sous une forme numérique à des fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement.
Le SNE continue à être mobilisé, notamment dans le cadre de la nécessaire adaptation des Protocoles d’accord existants entre les différentes parties prenantes, en l’occurrence le CFC pour le livre, au nouveau cadre légal posé par l’ordonnance.
S’agissant des deux exceptions en faveur de la fouille de textes et de données – Text and data mining (TDM), l’ordonnance consacre une définition des opérations à inclure dans cette notion directement héritée de la directive. La fouille de textes et de données désigne la mise en œuvre d’une technique d’analyse automatisée de textes et données sous forme numérique afin d’en dégager des informations, notamment des constantes, des tendances et des corrélations.
L’ordonnance transpose une première exception au bénéfice des organismes de recherche et des institutions du patrimoine culturel qui diligentent des fouilles de textes et de données à des fins de recherche scientifique, à laquelle les titulaires de droits ne peuvent s’opposer (II de l’article L. 122-5-3 du CPI). Cette exception couvre également les situations de partenariat entre une entreprise privée et un bénéficiaire de l’exception, dans un cadre précis, excluant notamment les partenariats ayant un but lucratif.
Le SNE est favorable à l’élaboration d’une charte des bonnes pratiques afin de faciliter la mise en œuvre de cette exception et notamment préciser les conditions de conservation des copies des oeuvres. Une telle charte est prévue dans l’ordonnance comme une faculté et non une condition d’application de l’exception.
L’ordonnance consacre une seconde exception au bénéfice de toute fouille, quelle que soit sa finalité, sous réserve toutefois que le titulaire n’ait pas exprimé son opposition (III de l’article L. 122-5-3 du CPI).
Le SNE continue à être mobilisé pour le décret à paraître, nécessaire à l’entrée en vigueur des deux exceptions et devant encadrer la sécurisation des fichiers, leur transfert et leur stockage, en fonction de la finalité des utilisations autorisées.
S’agissant de la seconde exception, hors périmètre de la recherche, le décret devra également préciser les modalités d’expression de l’opposition (ou « opt-out ») que l’ordonnance désigne de manière non limitative par des procédés lisibles par machine pour les contenus directement accessibles en ligne (par exemple en « open access »). Grâce à la FEE et à EDRLab, le W3C a élaboré un outil technique afin que les ayants droit puisse effectuer cet « opt-out ».
Enfin, l’ordonnance instaure un nouveau système permettant aux institutions du patrimoine culturel (comme les bibliothèques, les musées et les archives) à numériser et à diffuser, y compris en ligne et par-delà les frontières dans l’Union européenne, des œuvres dont elles disposent mais qui sont indisponibles dans le commerce et dont la première publication ou communication au public remonte à trente ans ou plus. Ces dernières peuvent être exploitées sur la base de licences délivrées par des organismes de gestion collective suffisamment représentatifs et étendues aux titulaires de droits qui ne sont pas membres de ces organismes (article L. 138-2 du CPI). En l’absence d’organisme de gestion collective représentatif, l’ordonnance instaure une nouvelle exception au droit d’auteur autorisant la mise en ligne de ces œuvres sur un site internet non commercial (13° de l’article L. 122-5 et article L. 122-5-5 du CPI). L’auteur d’une œuvre indisponible peut néanmoins s’opposer à ce que son œuvre ou tout ou partie de ses œuvres soit exploitée dans ces conditions. Le SNE doit réfléchir à l’opportunité de l’instauration de la gestion collective étendue de ces usages.
Enfin, l’ordonnance inscrit dans le cadre des licences collectives étendues, le dispositif national d’exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle, qu’elle permet ainsi de rendre conforme au droit de l’Union européenne, tout en limitant leurs ventes au territoire national, tout du moins pour le futur. L’ordonnance garantit que l’élargissement de l’accès aux œuvres ne se fasse pas au détriment des intérêts légitimes des titulaires de droits. L’ordonnance encadre précisément les conditions d’information et d’opposition des titulaires de droit en précisant que l’organisme de gestion collective doit mettre en œuvre des mesures de publicité appropriées pour garantir l’information des auteurs et des éditeurs sur le fait qu’il est réputé disposer d’un mandat pour autoriser la reproduction et la représentation sous une forme numérique des livres indisponibles, ainsi que sur les modalités d’exercice de leur droit d’opposition. Ainsi l’ordonnance garantit un juste équilibre entre les besoins des utilisateurs, d’une part, et les droits et intérêts des auteurs et autres titulaires de droits, d’autre part.
Pour rappel, les dispositions de la directive 2019/790 relatives à la responsabilité des plateformes (article 17) et celle traitant des auteurs (articles 18 à 23) ont quant à elles été transposées en droit français par ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021.
L’article 17, relatif à la responsabilité des plateformes, a été introduit dans le code de la propriété intellectuelle aux articles L. 137-1 du code de la propriété intellectuelle et suivants. Ces dispositions renforcent les moyens de lutter contre le piratage sur les plateformes de partage de contenus en ligne. Les services de partage de contenus qui donnent accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur qui sont téléversées (uploadées) par des utilisateurs (telles que des livres audio mis à disposition sur Youtube ou Facebook) réalisent un acte de communication ou de mise à disposition du public. La loi reconnaît ainsi que ces plateformes ne peuvent plus bénéficier du régime de responsabilité allégé bénéficiant aux fournisseurs de services en ligne (hébergement et accès à internet). Ces acteurs doivent désormais obtenir une autorisation préalable des titulaires de droit, par exemple au moyen d’accords de licence. A défaut d’autorisation préalable, ils pourront échapper à leur responsabilité s’ils démontrent qu’ils ont fourni leurs meilleurs efforts 1) pour obtenir une autorisation auprès des titulaires de droit, 2) pour garantir l’indisponibilité d’œuvres non autorisées sur la base de titres fournis par les ayants droit, y compris en empêchant leur mise en ligne future, 3) en tout état de cause qu’ils ont agi promptement, en cas de notification, pour bloquer l’accès aux œuvres et qu’ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher leur réapparition. Le dispositif de traitement des recours des utilisateurs lorsqu’ils sont confrontés au blocage des contenus qu’ils mettent en ligne via les plateformes consacre le blocage le temps de traiter le recours (article L. 137-4, II du CPI).
Quant aux articles 18 à 23 relatifs aux auteurs, voici les principales dispositions transposées affectant la relation auteurs/éditeurs pour le secteur du livre :
- Adaptation de la rémunération (II de l’article L. 131-5 du CPI) : nouveau droit pour l’auteur de percevoir une rémunération supplémentaire lorsque la rémunération proportionnelle initialement prévue au contrat se révèle exagérément faible par rapport à l’ensemble des revenus ultérieurement tirés de l’œuvre. Cette disposition ne s’applique qu’en l’absence de dispositions particulières dans le contrat ou dans un accord professionnel prévoyant un mécanisme permettant la mise en œuvre d’une rémunération supplémentaire à celle prévue initialement dans le contrat.
- Obligation de transparence (II de l’article L. 131-5-1 du CPI) : dispositions relatives à la communication des informations relatives à l’exploitation par un sous-cessionnaire lorsque le cessionnaire n’a pas fourni ces informations en intégralité à l’auteur. Le texte précise qu’un accord professionnel fixe les conditions dans lesquelles l’auteur peut obtenir communication des informations. Cet accord peut ensuite être étendu par arrêté du ministre chargé de la culture. A défaut d’accord dans un délai de 12 mois à compter de la publication de l’ordonnance du 12 mai 2021, les conditions dans lesquelles l’auteur peut obtenir communication des informations détenues par le sous-cessionnaire sont fixées par décret en Conseil d’Etat.
- Reddition de comptes (I de l’article L. 131-5-1 du CPI) : un accord professionnel peut prévoir des conditions particulières de reddition des comptes pour les auteurs dont la contribution n’est pas significative. L’application de cette obligation est reportée un an après la date de transposition de la directive, soit à partir du 7 juin 2022.